TRIBUNE
publié le 4 mai 2023 à 10h32
La volonté affichée depuis le 13 avril par Gabriel Attal, le ministre des Comptes
publics, de mieux informer les Français sur
l’utilisation de leurs impôts, est louable. Il a lancé une campagne de
communication à ce sujet dont on peut espérer sinon qu’elle réconcilie les
Français avec l’impôt – en France la tâche est difficile, depuis toujours –, du
moins que ceux-ci s’informent davantage.
Gabriel Attal a lancé en parallèle le 25 avril sur le site internet «En avoir pour mes impôts» une consultation pour que les Français expriment quelles doivent
être ou ne pas être les priorités budgétaires, et il promet que le gouvernement
en tiendra compte dès le prochain budget. L’idée peut paraître séduisante, mais
elle est dangereuse.
D’une part parce que cet avis peut mettre en péril la répartition des
financements entre les politiques publiques, qui a été dosée grâce à un
dialogue exigeant, ancien et continu entre le Parlement et l’exécutif. Ces
derniers ont une vision d’ensemble des besoins de financements publics que
chacun de nos concitoyens n’a pas nécessairement. Que fera-t-on de cette
consultation si elle aboutit à accorder la priorité à de nombreux objectifs au
détriment de la Défense nationale, par exemple ? Ou si elle ne prévoit que des
priorités alors que les caisses sont vides et que le déficit budgétaire est devenu
abyssal, notamment depuis 2019-2020 ? Elle aboutira à une impasse et des
espoirs déçus. Il est dangereux de lancer des débats illusoires sur un sujet
aussi névralgique que le rapport des Français à l’impôt et à l’Etat alors que la démocratie française est déjà fragilisée.
D’autre part, parce qu’en déclarant que ce sont «notamment
ceux qui paient l’impôt sur le revenu» dont l’avis sera pris en compte
(interview à RTL, 25 avril), Attal crée l’équivalent d’un nouveau suffrage
censitaire, en écartant par avance les priorités que pourraient exprimer les
moins aisés, ceux qui ne paient pas l’impôt sur le revenu. D’autant qu’il
invite les premiers à cibler les «gabegies». Comment
ne pas penser au fameux «pognon
de dingue» qu’a stigmatisé Emmanuel Macron en critiquant les aides sociales ? La
dernière question du questionnaire en ligne – que l’on peut remplir plusieurs
fois sans contrôle, nous l’avons constaté –, la seule qui soit vraiment
ouverte, incite à pointer du doigt «les
dépenses publiques qui vous choquent». Une question précédente propose
de faire payer «un impôt universel,
même symbolique», à ceux qui ne paient pas l’impôt sur le revenu –
alors que ces derniers paient la TVA ou la CSG, le questionnaire oublie de le
préciser. Il ne propose pas en revanche d’augmenter les impôts des plus aisés.
En réalité, les initiatives de Gabriel Attal n’ont été évoquées de près
ou de loin ni par Emmanuel Macron dans son allocution du 17 avril, ni par Elisabeth Borne dans sa «feuille de route», le 26 avril, ni même par Bruno Le
Maire, alors que l’exécutif aurait bien besoin d’idées nouvelles pour se
relancer. N’est-ce pas la preuve d’une réserve vis-à-vis de propositions
hasardeuses ?
En matière de démocratie participative appliquée à l’impôt, une piste
plus viable a déjà été préconisée au Parlement. Elle consiste à faire choisir
par les contribuables, à l’occasion de la campagne annuelle de déclaration
d’impôt, l’affectation de 5 % de leur impôt sur le revenu à telle ou telle
mission budgétaire existante, pour qu’ils soient sûrs de l’utilisation concrète
d’une partie de leur argent et se sentent plus concernés. Cette proportion
équivalant à 1 % de l’ensemble des impôts, le risque de déséquilibre serait
compensé par la réaffectation des autres impôts (TVA, impôt sur les sociétés,
etc.) et serait donc nul. C’est pourquoi les groupes socialistes l’ont défendu
aussi bien à l’Assemblée qu’au Sénat sous forme d’amendement au budget 2021…
avec le succès que l’on devine, s’agissant d’un amendement de l’opposition.
Depuis, Eric Woerth et Jean-François Copé, anciens
ministres du Budget, ont également soutenu l’idée.
Il faut souhaiter que toutes les Françaises et les Français soient
concernés par cette réforme, et pas seulement, comme l’a souhaité Eric Woerth à l’Assemblée, les contribuables assujettis à
l’impôt sur le revenu. Ceci passe par l’application de la réforme à la CSG, qui
est payée quasiment par tous, dans la même proportion de 5 % mentionnée
précédemment et avec la même absence de risque de déséquilibre.
Cette mesure serait mise en œuvre plus simplement grâce à la fusion de
l’impôt sur le revenu et de la CSG, soutenue par de nombreux économistes et qui
a été rendue possible avec le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu,
voté par l’Assemblée nationale en 2016.
La modestie des proportions concernées répondrait à l’objection
constitutionnelle de non-affectation des dépenses aux recettes, qui connaît
déjà des exceptions importantes et bien admises.
Voici comment il faut concevoir le débat public, dans le respect de tous
les Français, ainsi que de la démocratie représentative.